Festival international du
court métrage au saguenay

Suite à la tenue de sa 25e édition, REGARD souhaite faire découvrir les cinéastes sélectionnés dans la Compétition officielle du Grand prix Canadien. En plus des entretiens réalisés en français en collaboration avec la balado de Ciné-Bulles, que vous pouvez écouter ici, l'équipe du Festival a confié les entrevues en anglais à Justine Smith, présidente de l'Association des critiques de cinéma du Québec (AQCC).

Voici donc l'entrevue réalisée avec Samuel Mac, le cinéaste de Face présenté dans le programme Compétition 3.

 

REGARD : Qu’est-ce qui a inspiré le scénario ?

La plupart de mes films précédents appartiennent au cinéma de genre pur et dur, à l’horreur, à la science-fiction et à la comédie noire. Je sentais que ce n’était pas tout à fait ce que je voulais faire. Ça ne signifiait pas grand-chose à mes yeux, ça n’avait rien de personnel. Alors j’ai tout recommencé à zéro et j’ai réfléchi à quelque chose de vraiment personnel : ce film s’inspire à la fois de mon enfance et de celles de mon père et de mon oncle. J’avais des bribes d’idées différentes en tête qui se sont combinées pour donner forme au film. 

J’ai tiré mon inspiration d’expériences que j’ai vécues quand j’avais autour de 15 ans, ainsi que de celles de mon père au même âge et de mon oncle quand il avait une douzaine d’années. J’ai assemblé ces souvenirs autour du récit d’un cinéaste et j’y ai ajouté le conflit avec les intimidateurs. J’ai essayé de coller à la réalité de nos expériences.

 

REGARD : Quel est le film qu’il regarde et pourquoi l’avoir inclus ?

C’est l’un des premiers films d’horreur en noir et blanc que j’ai vus dans mon enfance, House on Haunted Hill (La nuit de tous les mystères). Ce film est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire du cinéma, en particulier des films d’horreur. Je trouvais ça super de pouvoir l’utiliser, car le film est passé dans le domaine public. Il y a beaucoup d’aspects de ce film qui ont inspiré mon scénario, notamment l’idée qu’une apparence horrifique peut cacher autre chose que ce que l’on pense. Je ne voulais pas en faire trop en mettant plein d’extraits du film. Dans l’une des premières versions, on en avait beaucoup plus, mais on a essayé de réduire ça au minimum par la suite.

 

REGARD : Le style du film est remarquable, avec sa photo en noir et blanc et ses incroyables mouvements de caméra. Comment avez-vous conçu ce style ?

Je lève mon chapeau à Harley Francis, notre directeur de la photographie ! Il est formidablement talentueux à la Steadycam et il tourne avec tellement de naturel. On a utilisé beaucoup de lumière naturelle pour obtenir ces images, mais la décision de tourner en noir et blanc était prise dès le début. Je savais que le masque allait être un symbole important. J’ai eu une blessure au visage dans mon enfance et j’ai dû porter un masque. Ce motif allait jouer un rôle central. Le masque est inspiré de Béla Lugosi, un acteur très connu des films d’horreur de la vieille école.

 

Dans mes films précédents, j’avais utilisé beaucoup de couleurs extrêmement saturées. J’avais envie de compenser avec de la lumière naturelle et du noir et blanc. Dès que j’ai eu cette idée, c’était impossible de penser à autre chose, surtout avec House on Haunted Hill comme référence. En discutant avec Harley, l’équipe de lumière et le chef électricien[CS1] , ainsi qu’avec Hugo, un autre gars qui opérait la Steadycam pour certains plans, tout est devenu très fluide.

 

On a utilisé une caméra RED, qui offre une large gamme de possibilités en noir et blanc avec laquelle on a pu jouer. Ça a nourri notre inspiration, de la même manière que le masque et le film de référence. En fin de compte, tourner en noir et blanc nous est apparu comme la seule option possible.

 

REGARD : Pouvez-vous nous parler des lieux de tournage ?

On voulait montrer Montréal, mais la périphérie de la ville. On a tourné dans le Mile-End et à Saint-Henri. Le terrain qu’on a utilisé, c’est un lieu très connu, et on a tourné en septembre. C’était beau, envahi par les mauvaises herbes, pas du tout entretenu. On y est allés et on a tourné ces scènes en un après-midi, c’était assez calme. D’habitude, il y a beaucoup de gens qui se promènent dans le coin. C’est très proche de l’endroit où il y a la petite maison rose en haut du silo. Je vis dans le coin et je passe devant cet endroit presque tous les jours. Ça a l’air un peu louche et délabré ; on s’est juste pointés là.

 

REGARD : Vous dites que c’était important de montrer Montréal. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Si je fais un film à Montréal, je veux que ça se voie. Tous les acteurs sont locaux, et dès qu’on a commencé à répéter et à lire le scénario, j’ai trouvé ça important de ne pas chercher à déguiser les accents et de laisser les voix émerger naturellement. Dans ce type de lieu, avec cet aspect industriel, ça n’a aucun sens de chercher à cacher où on est. Selon moi, à moins qu’on soit dans de la science-fiction pure et dure et qu’on ne veuille pas que le décor laisse paraître où on est précisément, il faut épouser le lieu. J’adore montrer Montréal dans ce film et je pense qu’on présente un côté très intéressant de la ville. Je voulais juste que ça ait l’air aussi naturel que possible.

 

REGARD : Pouvez-vous nous parler de votre travail avec les acteurs, étant donné surtout que ce sont tous des adolescents ?

À l’étape de l’écriture, ça me faisait peur, car j’avais du mal à imaginer les acteurs. C’était la première fois que j’écrivais quelque chose pour des acteurs adolescents. La distribution nous paraissait le plus gros défi pendant la préproduction, mais tout s’est mis en place dès qu’on a commencé à faire passer des auditions. On a commencé à répéter avec les quatre acteurs. On se servait des dialogues écrits comme d’une base sur laquelle travailler. Si les acteurs respectaient leurs marques et que l’idée était là, j’étais ouvert à ce qu’ils trouvent leurs propres mots.

 

On a beaucoup répété les mouvements, le positionnement des acteurs dans les scènes et la manière dont la caméra allait les suivre. Pendant les auditions, on avait de fausses caméras. Dès que tous les acteurs ont été réunis et qu’ils ont commencé à répéter, il y a eu beaucoup d’improvisation. Et beaucoup de leurs improvisations se trouvent dans le film final, car ils étaient très cohérents. C’est quelque chose qui m’a beaucoup impressionné. Ils semblent dénués de vanité et de conscience de soi, ce qui leur donne beaucoup de naturel. Dès qu’ils ont compris la personnalité de chaque personnage, ils se sont mis dans leurs peaux.

On a fait tellement de répétitions que l’improvisation était quasiment intégrée au moment du tournage. Ils savaient ce qu’ils allaient dire. Ça a rendu le tournage très facile et rapide. C’est ce qui m’a le plus impressionné : au départ, j’avais peur de ne pas réussir à trouver les acteurs, et arrivé au tournage, je les regardais jouer leurs scènes et c’était incroyable.

 

REGARD : Comment s’est passé le montage ? 

On a terminé le tournage en septembre 2019 et on a embarqué sur un autre projet immédiatement après. J’avais un premier montage en janvier 2020, et après ça on a commencé le processus consistant à monter chaque scène individuellement, plutôt que de juste créer un assemblage général. J’essayais de garder chaque scène comme une entité à part entière, car chaque scène a son propre mouvement. Par exemple, la première scène est très statique — Face regarde le film et on le voit dans son environnement familier[CS2] . Le rythme y est différent que dans le reste du film. Ça me stressait un peu de commencer par cette scène, car le rythme est lent et atmosphérique.

 

Puis soudainement, on accélère et il y a beaucoup de mouvement. Monter chaque scène individuellement m’a aidé à saisir la cadence du film et la rapidité avec laquelle les choses doivent s’enchaîner. Le travail de caméra de Harley était tellement fluide, et chaque prise respectait les cadrages prévus. Ça rendait souvent le montage extrêmement facile. On avait fait énormément de prises pour certaines des scènes, mais une fois que j’ai commencé à monter, tout était là. Chaque coupe découlait de la manière dont on avait filmé le plan. Ça a été le travail de montage le plus fluide sur lequel j’ai travaillé.

Quand on est arrivés à l’étape du montage final, il y a eu la COVID, et tout a dû se faire à distance. On a fait l’étalonnage à distance, ce qui était tout un défi, et pareil pour le mixage. C’était intéressant de trouver de nouvelles manières de travailler. On s’est adaptés et finalement l’étape de postproduction s’est déroulée sans problème.

 

REGARD : Sur quoi travaillez-vous à présent ?

J’ai travaillé sur un projet pendant le confinement, une expérience de cinéma immersive, mais ce n’est pas tout à fait un film. Nous n’avons rien tourné ; tout est numérique. J’ai aussi un autre scénario que j’espère faire financer pour un tournage cet automne ou au printemps prochain. C’est aussi un court métrage qui se passe au Québec. J’écris également toujours des longs métrages, mais à ce stade, c’est une question de financement.

 

Traduction : Charlotte Selb