Festival international du
court métrage au saguenay

Suite à la tenue de sa 25e édition, REGARD souhaite faire découvrir les cinéastes sélectionnés dans la Compétition officielle du Grand prix Canadien. En plus des entretiens réalisés en français en collaboration avec la balado de Ciné-Bulles, que vous pouvez écouter ici, l'équipe du Festival a confié les entrevues en anglais à Justine Smith, présidente de l'Association des critiques de cinéma du Québec (AQCC).

Voici donc l'entrevue réalisée avec Charles Wahl, le cinéaste de The Mohel, présenté dans le programme Compétition 2.

REGARD : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire et réaliser The Mohel ?

Charles : Lors d’une projection, j’étais assis à côté d’un cinéaste juif israélien. On s’est connus dans le cadre d’un festival, et je lui ai expliqué que j’avais grandi dans une grande ville avant de déménager dans une plus petite, avec une population juive assez réduite. Je lui ai parlé des problèmes que ça peut créer. Je ne suis pas une personne particulièrement religieuse, mais je respecte quand même certaines traditions et ce n’est pas évident dans une petite collectivité.

Un exemple que j’ai évoqué, c’est le fait que si on a un fils et qu’on veut faire la cérémonie de la brit milah, il faut faire venir le mohel en avion parce qu’il n’y en a pas dans le Canada atlantique, alors qu’à Toronto, il y en a partout. Cette histoire a entraîné plusieurs autres anecdotes et, à la fin de la conversation, ce cinéaste m’a dit : « Écoute, il faut que tu fasses un film là-dessus ». Au départ, je n’avais pas envie de faire un film sur la religion. Ça ne me tentait pas du tout, parce que la religion est un sujet assez délicat pour beaucoup de gens. Mais plus j’y pensais, plus je me disais : « Je n’ai jamais vraiment vu de film qui traite sérieusement de la brit milah. »

 

Quand la plupart des gens pensent au mohel ou à la brit milah, ils pensent à l’épisode de Seinfeld. Cet épisode est génial et hilarant, mais le cinéma montre toujours cette cérémonie sous un angle comique, jamais sérieusement. Je me disais que ce serait bien de parler de cette cérémonie avec sincérité, parce que c’est quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. De plus, je me disais que ça me permettrait d’explorer des thèmes qui me préoccupent, comme la nature transactionnelle de la religion, la manière dont la religion nous accepte, les attentes des figures d’autorité à notre égard et la nécessité d’y répondre, au risque de les décevoir. Un autre thème important, c’est la difficulté à conserver des croyances inculquées par des personnes qui viennent souvent d’un autre endroit, d’une autre époque, et d’arriver à vivre avec ces croyances à l’époque moderne.

 

REGARD : Une grande partie du film est centrée sur les conflits internes. Comment avez-vous conçu le parcours émotionnel du personnage ?

J’ai toujours vu ça comme le parcours d’un individu qui essaye de faire plaisir à tout le monde. Il est père pour la première fois, et arriver à organiser cette cérémonie au milieu de tout ça, c’est vraiment intense psychologiquement, surtout si on n’a pas grand monde pour nous aider. Il essaye de faire plaisir à sa femme, il essaye de rendre sa mère heureuse et il veut que le rabbin soit content. Et bien entendu, il veut aussi que son fils soit en sécurité, bien traité et intégré aux traditions auxquelles il appartient. Donc beaucoup des conflits internes proviennent du fait qu’il ne veut fâcher personne. Pendant tout le film, il est juste un gars qui fait ce qu’il pense être bien. Il croit bien faire tout au long de l’histoire.

 

Plus tard dans le film, on comprend que le rabbin ne voit pas du tout les choses du même œil. Au lieu d’extérioriser le problème, le personnage intériorise tout jusqu’à la fin. S’il extériorisait les choses à ce moment-là, il gâcherait la journée de tout le monde. Et je ne pense pas qu’il veuille gâcher la journée de sa femme, de sa mère ou de qui que ce soit de son entourage.

 

L’aspect le plus bizarre de la religion, ici, c’est que le personnage veut en faire partie. Il veut être juif, il veut que sa famille appartienne à cette religion et il y a toute cette lutte contre lui, pour aucune raison, mais encore là, ça se discute. Il y a plein de gens qui regardent le film, qui voient James et qui se disent : « Il s’attendait à quoi ? »

 

REGARD : Pouvez-vous parler du choix des acteurs ?

 

La distribution, pour moi, c’est central. C’est essentiel à la bonne exécution d’un film : si le jeu n’est pas bon, si vous n’avez pas les bonnes personnes, peu importe que les images soient jolies ou que le son soit bon, ça ne marchera pas. Je travaille très fort pour trouver les bonnes personnes. J’ai fait ce film avec un très petit budget, avec une petite bourse d’un conseil des arts qui m’a permis de le réaliser, mais j’ai quand même dû demander des faveurs.

 

Je savais que je ne pourrais pas passer par un traditionnel régisseur de distribution, je n’en avais pas les moyens. Alors je suis passé par les gens que je connais dans l’industrie. Beaucoup de choses ont démarré grâce à Kaelen [Ohm], qui interprète Lola dans le film. J’avais travaillé avec elle dans le cadre de mon court métrage précédent, Little Grey Bubbles, où elle joue tellement bien. Je lui ai envoyé le scénario, qu’elle a adoré, et elle a accepté de faire le film. Elle était en plein milieu d’une série Netflix, alors j’ai dû appeler Netflix pour qu’ils la libèrent une fin de semaine, et ils ont été super conciliants. Tout s’est très bien déroulé.

 

Puis ça a été le tour de James, et j’ai vu plein de gens différents. Kaelen m’a recommandé Daniel Maslany, que je connaissais de Murdoch Mysteries, mais que je n’avais jamais vu ailleurs, alors au début j’avais du mal à l’imaginer dans le rôle. Je le considérais parmi d’autres acteurs, puis j’ai commencé à regarder son travail en dehors de Murdoch, et j’ai trouvé qu’il avait la bonne énergie pour le rôle. Il a l’air de toujours penser, de considérer les choses. Kaelen m’a mis en contact avec Daniel. Elle lui a envoyé le scénario ainsi que mon film précédent, et il a aimé les deux. On est finalement entrés en contact par téléphone et on s’est parlé pendant longtemps. Après une heure, je savais qu’on avait trouvé James et que ça allait marcher. Et Dieu merci, malgré les séries sur lesquelles il travaille, on a réussi à trouver un moment dans son emploi du temps. Le calendrier de ce film a été un véritable jeu de Tetris, mais heureusement on a fini par y arriver.

 

À part ces deux-là, le rabbin est probablement le personnage le plus important du film. Tout le film tourne autour de lui. C’est lui que j’ai eu le plus de mal à trouver. Je ne trouvais personne qui convienne et je commençais à désespérer. Un jour, un acteur m’a appelé complètement par hasard et m’a dit : « Hé, tu connais Sam Rosenthal ? » Je ne le connaissais pas, mais à l’époque, il était le directeur créatif d’un théâtre qui se trouve ici, à Halifax. Et cet acteur m’a dit : « Tu devrais jeter un œil à son travail. Il a un spectacle ce soir. » Je suis allé voir ce spectacle. Quand je l’ai vu, il n’avait rien à voir avec le rôle que j’imaginais. C’était un type bien rasé, très débonnaire. Il était excellent dans la pièce en question, mais il était complètement différent du rôle voulu. Je lui ai envoyé le scénario et on a pris un café. Ça se voyait qu’il avait grandi dans un environnement très similaire au mien. Il a aussi grandi à Toronto, dans une communauté semblable, avec une éducation similaire.

 

C’était évident qu’il comprenait le rôle ; il savait de quel genre de personnage il était question. Il m’a dit : « Écoute, physiquement, je sais que je suis sans doute très différent de ce que tu as imaginé, mais je comprends le rôle, et je peux nous amener là où il faut. » C’était un acte de foi de l’embaucher, mais assis en face de lui, à lui parler, je le trouvais tellement charismatique. Alors je lui ai dit : « Allons-y, mais ne te rase pas d’ici au début du tournage ! » On a beaucoup travaillé ensemble pour arriver à un personnage authentique. Il lit l’hébreu et parle un peu hébreu. On a rencontré un rabbin, qui nous a aidés avec les prières et les différents rituels. Ce rabbin nous a fourni beaucoup d’informations et nous a vraiment aidés.

 

[Sam Rosenthal] a vraiment travaillé fort. Je voulais qu’il soit capable de prendre complètement le film en charge. Il devait tout savoir par cœur, tous les aspects religieux. Sam a tout appris, toutes les prières. Il était capable de tout chanter si on le lui demandait. Tous les autres acteurs de soutien étaient des acteurs locaux avec lesquels j’avais travaillé par le passé ou que j’avais vus ailleurs et dont j’appréciais l’énergie. Je leur ai tout simplement offert les rôles et ils ont accepté.

 

À partir de là, on n’a pas eu beaucoup de temps de répétition avec les acteurs. Mon approche consiste à discuter longuement avec les acteurs en amont, pour parler des personnages. Je leur ai montré des exemples du style de réalisation que je voulais, pour qu’ils puissent saisir le genre d’énergie que je recherchais. Mon type d’approche cinématographique a permis de leur donner du temps. On a surtout tourné en lumière naturelle, principalement caméra à l’épaule. J’aime bien bouger d’une pièce à l’autre pour que les acteurs n’aient pas trop à se préoccuper de leur positionnement. Ça donne du temps aux acteurs entre les prises, s’ils en ont besoin, mais on n’a pas vraiment eu besoin de faire des dizaines de prises sur ce film. C’était un environnement très calme où on pouvait prendre notre temps et jouer. Quand on est entouré des bonnes personnes, on a juste à regarder.

 

REGARD : Quels sont vos prochains projets ?

Je développe actuellement un projet. On a eu de l’argent de Téléfilm pour continuer à travailler sur un scénario. C’est une version long métrage de mon court Little Grey Bubbles. J’ai aussi récemment proposé plusieurs projets à une plateforme de diffusion en ligne aux États-Unis. Je travaille également sur un autre court métrage pour lequel j’ai reçu une petite bourse. C’est un court poème visuel. J’étais sur le point de le tourner, mais il y a eu un autre confinement juste avant qu’on commence le tournage. J’espère pouvoir le réaliser dans un ou deux mois.

Traduction : Charlotte Selb